La nuit juste avant les forêts : Une nuit juste avec Romain Duris

« Un homme tente de retenir par tous les mots qu’il peut trouver un inconnu qu’il a abordé au coin d’une rue, un soir où il est seul. Il lui parle de son univers. Une banlieue où il pleut, où l’on est étranger, où l’on ne travaille plus ; un monde nocturne qu’il traverse, pour fuir, sans se retourner ; il lui parle de tout et de l’amour comme on ne peut jamais en parler, sauf à un inconnu comme celui-là, un enfant peut-être, silencieux, immobile ». Bernard-Marie Koltès.

La nuit juste avant les forêts est une pièce écrite par Bernard-Marie Koltès. Voilà donc cette pièce-monologue mise en scène par Patrice Chéreau et Thierry Thieû Niang et interprétée par Romain Duris.

Patrice Chéreau écrit : « Lorsque Bernard-Marie Koltès est venu me voir la toute première fois, en décembre 1979, il avait apporté avec lui deux textes : La nuit juste avant les forêts et Combat de nègre et de chien. Je n’ai pas compris le premier et je me suis concentré sur le second que j’ai eu envie de monter. Là non plus sans tout à fait comprendre, mais il y avait dans ce second texte des situations, des personnages, une langue, il ne se présentait pas, contrairement au premier, sous la forme intimidante d’une grande phrase unique de vingt-cinq pages qui ne me donnait aucune porte pour y entrer, par une fenêtre, par un soupirail pour regarder à l’intérieur. Aujourd’hui, avec Thierry Thieû Niang et Romain Duris, nous travaillons ce texte. J’ouvre la première édition parue quelques années plus tard aux Editions de Minuit ; sur la page de garde, une dédicace de Bernard à laquelle je n’avais pas prêté attention : « A Patrice, mes premières mille et une nuits, Bernard. »
Relisant le beau livre de Brigitte Salino, je découvre une autre phrase de Bernard, dans une lettre à Yves Ferry, le créateur du rôle : « Ce que je vois, c’est un véritable emballement dans la tête, à toute vitesse, jusqu’à ce que « mort s’ensuive » ».
Pour cet homme qui nous parle, la mort est au bout du chemin, sous les apparences de ces « loubards sapés » qui ont fini par lui casser la gueule ; que pour la retarder, cette mort, il lui faut raconter, raconter encore et encore à ce garçon auquel il s’adresse, ajouter une histoire après l’autre, « le retenir par tous les mots qu’il peut trouver » dit ailleurs Koltès, conte après conte, mille et une fois, dans une rhapsodie vertigineuse. Et que cet homme, là, qui parle si obsessionnellement à cet enfant à peine entrevu, parviendrait ainsi à retarder sa mort, qu’il ait enfin pu lui prendre le bras, avant que la fureur des coups reçus ne le fasse basculer de l’autre côté, et puis, toujours, « la pluie la pluie la pluie ? ».

Patrice Chéreau, mai 2010.

      C’est au Théâtre National de Nice que nous avons pu assister aux représentations de La nuit juste avant les forêts du 22 au 24 février 2012. Le théâtre est bondé. Il est déjà là, sur scène, allongé dans un lit d’hôpital, lorsque le public prend place. Immobile, silencieux. C’est un souffle. Celui d’un homme qu’on ne reconnait pas. Il ne parle pas. Puis il commence en interpellant cet homme qu’il croise au coin d’une rue. « Camarade, camarade ». Il évoque l’étranger qu’il est. Etranger car il est différent des autres, différent et pourtant semblable à cet inconnu à qui il s’adresse. Parle-t-il à son ombre ? Ce double de lui-même. Cet homme nous est à la fois étranger et à la fois familier. Romain Duris est méconnaissable, jusqu’au timbre de sa voix, profond. Il est tous les hommes à la fois, du vieillard qui peine à se déplacer jusqu’à l’enfant fougueux et innocent. Ce monologue est un cri dans la nuit. Tellement d’actualité : des vendredis soirs qui perdent de leur sens parce qu’on ne travaille plus, à l’homophobie, et à l’amour. Des scènes de rue qui sont aussi bouleversantes que drôles tant elles sont pleines de l’absurdité de la vie. Ce monologue, magnifiquement interprété par Romain Duris, nous parle d’une humanité en perte de sens. Une nuit dont on ne sort pas indemne.

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