Dans le paisible village d’El Idilio demeure Antonio José Bolivar, un vieil homme d’environ 70 ans. Depuis la mort de sa femme, il vit reclus dans sa cabane en bambou, tout près de la forêt amazonienne. Avant, il allait dans la jungle rejoindre ses amis, les indiens Shuars, et il entrait en communion avec la végétation luxuriante. A présent, entouré de gringos et de chercheurs d’or, ces hommes blancs qui ne respectent pas les lois de la nature, il préfère la solitude.
« Il prit la direction d’El Idilio, de sa cabane et de ses romans qui parlaient d’amour avec des mots si beaux que, parfois, ils lui faisaient oublier la barbarie des hommes. » Apaisé, il s’adonne à la lecture des livres qu’on lui donne, sur la table aux longs pieds qu’il lui sert aussi à manger. Passionné par les romans d’amour, et aidé de sa loupe, « il lisait lentement en épelant les syllabes, les murmurant à mi-voix comme s’il les dégustait, et, quand il avait maîtrisé le mot entier, il le répétait d’un trait. Puis il faisait la même chose avec la phrase complète, et c’est ainsi qu’il s’appropriait les sentiments et les idées que contenaient les pages.» Mais Antonio José Bolivar ne prend du plaisir dans la lecture que par le dégoût que lui inspire l’homme blanc, qui à la recherche de son profit, ne respecte plus la communion terrestre, ni l’indigène Shuar, simple sauvage illettré et effrayant. Grâce à la magie des mots, cet homme d’un certain âge, lutte face à la course du temps sur son corps : il poursuit ses aventures de sa cabane. Les histoires d’amour provoquent le dépaysement, et lui rappelle au combien il aimait son épouse, Dolores. Au moins, il pouvait laisser libre cours à son imagination, et faire de Paris une ville avec des monstres de pierre gentils. Personne pour lui reprocher de pester contre le méchant, ou pour lui dire qu’il pleure trop. Ses joues peuvent rougir à la lecture d’un baiser ardent. Qu’importe, il aime les romans d’amour, et eux seulement. Les autres sujets intéressent moins car « en parcourant les textes de géométrie, il se demanda si cela valait vraiment la peine de savoir lire. » Quelle délivrance a dû ressentir Antonio José Bolivar en découvrant qu’il savait lire ! Lire est la meilleure échappatoire, la seule trappe vers l’extérieur lorsque l’on est enfermé dans une situation, un lieu, une idée. Le vieil homme peut dépasser l’ennui, la bêtise humaine en savourant quelques lignes d’un ouvrage d’amour. L’amour n’est il pas ce qu’il y a de plus simple pour se transcender ? L’amour d’Antonio José Bolivar pour son épouse est finalement exacerbé par le désir du vieillard de ne plus fuir dans la forêt amazonienne. Il a désormais les livres pour se rappeler la beauté d’aimer et d’être aimé. L’amour peut parfois être décrit ainsi : « Nul ne peut s’emparer de la foudre dans le ciel, et nul ne peut s’approprier le bonheur de l’autre au moment de l’abandon. »
Le vieux qui lisait des romans d’amour de Luis Sepulveda
Première édition française le 22 avril 1992 au Métailié.
130pages