Certains ont pu le voir l’année dernière au Nice Jazz Festival sur la Scène Massena. Aujourd’hui, Gregory Porter revient avec un troisième disque intitulé « Liquid Spirit« , son premier pour l’écurie Blue Note.
A l’instar de José James, lui aussi récemment signé sur le mythique label de jazz, le crooner est parfaitement à son aise dans cet entre-deux permanent entre soul et jazz. Gregory Porter est le genre de chanteur dont la moindre inflexion vocale semble sortir du plus profond de ses entrailles. Sa voix de baryton est expressive et ample, allant chercher des notes dans les graves plus souvent que sur ses précédents albums. Elle conjugue le swing de Kevin Mahogany au lyrisme de Donny Hathaway. Plutôt que de faire appel aux musiciens les plus cotés du monde du jazz, Porter préfère s’entourer de son équipe de fidèles peu connus. Il privilégie ainsi l’entente et la cohésion de groupe, deux choses évidentes à l’écoute du disque. Aucun duo non plus. Après tout, ses textes sont bien trop personnels pour être chantés par d’autres.
Car Porter n’est pas seulement un formidable chanteur, c’est aussi un grand storyteller. Il parle d’amour mais sans jamais tomber dans les banalités habituelles, sans jamais verser dans le mielleux. Un amour souvent triste et désabusé qu’il évoque avec brio dans des tranches de vie remplies de remords, qui abordent le thème (incontournable) de la rupture. Parmi elles, Brown Grass, Hey Laura et le piano-voix mélancolique Water Under Bridges. Une ballade à faire pâlir John Legend, où Porter déclare avec nostalgie : « If I could go back, I’d take our worst days. Even our worst days are better than loneliness ». Même le standard du Great American Songbook I Fall In Love Too Easily, pourtant vieux de presque 70 ans, semble avoir été écrit exprès pour lui tant il colle au contexte.
Mais l’amour dont parle Gregory Porter dans ses chansons ne saurait se résumer aux relations amoureuses. Il traite aussi de l’amour de l’humanité, à commencer par celui de ses proches. Sur le groovy Free, à la Bill Withers, il se montre éternellement reconnaissant du sacrifice de ses parents : « Though they both left this earth, I want to thank them for my birth and all of the gifts they left for a lifetime. It truly was a sacrifice ». Des textes toujours profondément humanistes et pétris de bons sentiments mais qui ne tombent ni dans la mièvrerie ni dans la leçon de morale. Comme sur No Love Dying, où l’on retrouve toute la poésie imagée de l’artiste : « The bird that flew in through my window simply lost his way. He broke his wing, I helped him heal and then he flew away ». Une poésie aviaire que l’on retrouve aussi plus loin sur Moving, dont la mélodie rappelle à la fois le Nightshift des Commodores et Way Back Home des Crusaders : « I feel just like a bird but one without a home. One that is floating over endless oceans, empty horizons, no rest in sight ».
En revanche, il ne fait pas preuve de tendresse sur Musical Genocide. Introduit par des notes de piano réminiscentes du Wake Up Everybody de Harold Melvin & The Bluenotes, il s’en prend à l’industrie musicale et fait l’éloge des grands chanteurs de blues, gospel et soul d’antan. « I will not commit nor will I submit to musical genocide« , chante-t-il. Porter chante le temps qui passe sur Time Is Ticking, symbolisé par un jeu de batterie métronomique. Et rend un brillant hommage à Martin Luther King sur When Love Was King, à l’heure où l’on fête les cinquante ans de son discours I Have A Dream.
Enfin, le single Liquid Spirit qui prête son nom à l’album est une protest song gorgée de rythmes hard-bop, dans la lignée de son déjà culte 1960 What. Comme sur chacun de ses albums, on retrouve deux ou trois reprises pour la route : I Fall In Love Too Easily (déjà évoqué), le tube soul 60’s The In Crowd (maintes fois repris : Ramsey Lewis, Petula Clark, The Mamas & The Papas, Bryan Ferry et même… Alvin et les Chipmunks !) et Lonesome Lover de Max Roach.
Gregory Porter signe un troisième album aussi inspiré et réussi que les précédents, qui respire toujours cette envie de partager ses états d’âme et surtout une sincérité absolue. Même si les chanteurs soul talentueux ne manquent pas actuellement, Gregory Porter fait partie de ces rares artistes touchés par la grâce, jouant déjà à jeu égal avec les plus illustres soulmen : Marvin Gaye, Curtis Mayfield ou Donny Hathaway. Sur Musical Genocide, il chante : « And the soul man with your heart in the palm of his hand singing his stories of love and pain ». Un autoportrait ?
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