Il y a trente ans, à l’initiative d’une bande de jeunes des Minguettes, quartier populaire de Vénissieux près de Lyon, la marche pour l’Égalité et contre le racisme débutait. Un périple de près de 1000 kms depuis le quartier de la Cayolle à Marseille – où un jeune maghrébin de 13 ans avait été assassiné – jusqu’à Paris où, triomphant, les marcheurs sont reçus par le président de la République Mitterrand. Le film La Marche retrace l’histoire de ces militants au quotidien de cette aventure.
Portée par une narration simple, La Marche va à l’essentiel sans rien oublier des détails qui font le sel des mouvements spontanés de protestations populaires. La Marche est le fait d’une poignée de jeunes adultes qui ne réussit pas tout de suite à rassembler. A Salon de Provence, une seule et unique personne sera là pour les accueillir. Cependant, peu à peu, les soutiens commencent à se multiplier. Le film montre bien comment les Renseignements Généraux – d’abord hostiles à la manifestation – vont devoir faire marche arrière face à l’ampleur de la réussite de cette randonnée épique et civique. On appréciera aussi la place laissée par le film à l’élaboration de revendications politiques plus poussées à mesure des événements. En effet, les jeunes des Minguettes étaient partis pour sensibiliser contre le racisme. Ils arrivent à Paris avec des revendications supplémentaires après s’être heurté aux organisations étudiantes qui leur reproche de faire le jeu du pouvoir par leur pacifisme forcené et la présence d’animateurs de la Cimade ( service oecuménique d’entraide se consacrant à l’accompagnement des étrangers migrants, en voie d’expulsion, demandeurs d’asile ou réfugiés).
Dans les années 50, les populations immigrés, amenées en métropole pour aider à la reconstruction, furent parquées dans des camps avec des cartes de déplacements. Il subsistait juste avant la Marche un système composés de deux cartes, une carte de séjour et une carte de travail. Délivrées de manière différée, les immigrés arrivant sur le territoire ne pouvaient pas travailler d’emblée, et de plus, n’avaient pas le droit de changer de métier ou de travailler dans une autre ville que celle qui leur avait été attribué. A la suite de la Marche, les participants obtinrent une carte de séjour unique de dix ans donnant temporairement les mêmes droits qu’une carte d’identité, plus une liberté de circulation et d’entreprendre. Heureusement, le film n’est pas que politique et n’oublie pas d’évoquer l’aspect festif de ce type de manifestations, ou encore les premiers amours qui peuvent y naître, à l’instar de celui compliqué (et qui met en exergue certaines contradictions du mouvement) entre une jeune arabe (Hafsia Herzi) et un jeune au faux air de Renaud Séchan (Vincent Rottiers). Renaud dont la chanson Hexagone fait d’ailleurs l’ouverture du film.
Seule ombre au tableau de ce film réussi, militant et sincère, la volonté d’avoir voulu faire jouer à Jamel Debbouze, en retrait dans le scénario, un énième rôle de bouffon qui dénature le film. Il y joue le rôle d’un délinquant drogué qui aurait pu avoir tellement de profondeur alors qu’il ne sert qu’à amuser la galerie. Et à occuper la promo du film au détriment des jeunes acteurs. Un choix marketing triste et peu judicieux. Dommage car la sémillante militante du partie communiste canadien, photographe officiel de la Marche contre le racisme et pour l’égalité, campée par Charlotte le Bon, le courageux et convaincant Mohamed, initiateur de la Marche interprété par Tewfik Jallab et tout le reste de la troupe font un travail magnifique. Chacun habite son personnage avec conviction.
Dédié à toutes les victimes du racisme sous toute ces formes et aux marcheurs de 1983 par le réalisateur Nabil Ben Yadir, le film La Marche est un cri d’alerte qui résonne autant au début des années 80 que de nos jous. Un cri d’espoir, d’amour, de fraternité. Espérons un très bon score au box-office, histoire de se sentir enfin, ensemble, tous chez nous.