IAM : 24 ans de Hip-Hop, 24 ans de combats

Akhenaton, chanteur du groupe de rap français IAM a annoncé que le groupe ne ferait plus paraître de nouvel album après leur dernier bijou: …IAM. « I am » signifie « je suis » en anglais mais IAM a toujours mis en avant le collectif. « Je suis » comme le cri de guerre d’une génération oubliée. J’existe. Mais surtout j’existe avec les autres, leurs cultures et leurs aspirations différentes. L’occasion de revenir sur leur carrière, leur combat, en 8 albums mythiques.

Concept , le premier album des supposés Imperial Asiatic Men posait effectivement les thèmes qui allaient faire le succès du groupe. Vendu comme une démo sur cassette audio à la sortie des concerts en 1989, il pose le rôle des différents membres du groupe. A chacun sa mythologie, son pseudonyme mystique. Inspiré par le Japon, la Chine et l’Égypte, les paroles de l’album sont chargés d’allusions à ces civilisations. C’est aussi un tribut au rap east-coast qu’Akhenaton a découvert adolescent en voyage à New-York dans sa famille paternelle.

En 1991, IAM sort … De la Planète Mars. Un album centré sur Marseille mais sans régionalisme forcené. Au contraire, IAM y célèbre sa force cosmopolite. Le groupe s’affirme à l’instar de NTM comme une des composantes majeurs et novatrice du hip-hop français. Exit Benny B, le rap francophone est conscient et il rentre dans l’âge adulte. Avec quatre ans d’avance sur le rappeur américain Coolio, ils samplent Pastime Paradise de Steevie Wonder dans Tam-tam de l’Afrique, chanson en souvenir des millions de victimes de l’esclavage.

Ombre est lumière, double album ambitieux sorti en 1993, est l’album de l’introspection et celui de la consécration médiatique porté par Le feu et Je danse le MIA qui deviennent rapidement des tubes. Les cinq compagnons réagissent à chaud sur les bouleversements intervenus après la chute du mur de Berlin. J’aurais pu croire renvoit dos à dos l’administration Bush et le régime Hussein, la colonisation israélienne et l’extrémisme iranien. Ils dénoncent les puissants qui nous gouvernent mais rappellent en guise de conclusion que les peuples peuvent faire bouger les choses. Où sont les roses nous rappelle à quel point pour Philippe Fragione – fils d’immigré italien devenu le pharaon fictif Akhenaton – les questions liés à l’intégration sont intimes. Une idée centrale d’IAM, qui déplore que les boucs-émissaires que furent les immigrés italiens deviennent les fers de lance du racisme contre les populations venus du Maghreb. Dans ses paroles, il évoque «  la sale mentalité des italiens qui ont tout oublié : se la jouer, plus autochtone que les vrais ». Avec 5 ans d’avance, et dans une démarche sincère dont les médias mainstream devraient s’inspirer, les six MC, DJ et breakdancers appelaient – sans l’artifice du sport – à une France black blanc beur fraternelle   dont IAM serait un exemple avec ses racines multiculturelles.

Fort de sa notoriété, IAM fonde L’école du micro d’argent, sûrement l’album le mieux réussi musicalement car chaque chanson se grave dans l’esprit. Il n’y a aucun moment faible. Le défi est réussi, et le groupe peut s’enorgueillir de faire Bouger la tête de toute la France en ce mois de mars 1997. Ils entraînent dans leur sillage tout les groupes qui vont éclore cette décennie dans le sud de la France, la Fonky Family, 3ème Oeil et tant d’autres.

Les rappeurs d’IAM vont se permettre de rajouter à leur panthéon fictif la Guerre des Étoiles avec l’Empire du Côté Obscur. DJ Kheops arrive au sommet de son art, le son et le mixage est limpide. Fidèle à leur volonté d’éducation populaire, l’équipe continue de mettre en garde la jeunesse – des banlieues et d’ailleurs – sur les dérives à la Scarface déplorant que Petit frère veut grandir trop vite. Ils accusent tout autant les rappeurs qui cultivent une culture hip-hop capitaliste, chaîne en or qui brille en avant, que les médias qui en font trop sur les faits divers sordides.

Dans le même temps, Akhenaton enregistre Métèque et mat, album solo introspectif et personnel tandis que Shurik’n publie  Où j’vis et Freeman, l’palais de Justice.

Après six ans d’absence, IAM remet le couvert en 2003 avec Revoir un printemps qui sonne comme le rappel d’Ombre est lumière au niveau des thématiques. L’album a été composé après la seconde guerre d’Irak. Il est hanté par une idée tenace : rien n’a changé. C’est certainement l’album le plus sombre d’IAM. Il fait la part belle aux morceaux engagés et délaisse les morceaux plus humoristiques qui rythmaient les albums précédents. Aucun skit (forme d’auto-parodie fréquente chez les rappeurs) ici. Juste l’urgence de mobiliser l’opinion publique. Enfin, de tenter de le faire. Consécration pour des rappeurs marseillais, la star américaine Beyoncé accepte de poser sa voix sur le titre Bienvenue. C’est aussi l’album où Freeman devient le troisième MC. Mélancolique et triste, c’est un album clivant dans la carrière du crew. La chanson titre Revoir un Printemps  installe les trois MC dans la peau d’un père de famille. L’inquiétude à fait place à la rage. Mais avec une énergie toujours intacte.

2007. L’album Saison 5 sonne comme un testament de rappeurs vieillissants. Peut-on rapper encore à l’aube de ces 40 ans ? Définitivement Oui. Le son est bon et les têtes bougent toujours autant. Toutefois, la quasi-totalité des chansons de cet opus font l’impasse sur le coté mystique du groupe et délaissent l’engagement politique. IAM passe son temps à se moquer du rap français de la nouvelle génération, à parler de lui-même, à tenter de se convaincre qu’il est toujours légitime. Alors qu’ils avaient toujours éviter cet écueil, les rappeurs nous jouent-là un concours d’ego : nous sommes les rois du rap français et nous n’avons plus rien a prouvé. L’album tourne un peu en rond. Bref, un passage à vide. Mais la notoriété du groupe permet tout de même à l’album de se classer à la deuxième place des charts à sa sortie. Une chanson sort du lot, la fameuse Rap de Droite, un direct du gauche aux Rohff et consorts pour lesquels la culture rap se résume à bimbo, golf GTI et billets verts: « Munitions, flingues et balles, c’est du rap de droite, Femmes soumises ou à poils, c’est du rap de droite, Corruption, copinage, c’est du rap de droite ». Rappelant par là-même que le hip-hop est né dans les ghettos américains comme un cri de rage face à un apartheid social qui ne dit pas son nom, et non dans une parodie de cartel mexicain, Scarface et autres clichés.

A l’issue de l’enregistrement de cet album, Freeman claquera la porte du groupe pour incompatibilité d’humeur avec Akhenaton et poursuivra une carrière solo.

L’année 2013 est riche avec la sortie de deux disques : Arts Martiens et …IAM. Le second est composé des chutes du premier. Akhenaton a annoncé que désormais le groupe jouerait sur scène mais ne produira plus d’albums. Le Dernier coup d’éclat qui clôturait Arts Martiens résonne maintenant sous un nouveau sens. Après le coup de mou de la Saison 5, IAM offre deux derniers « coups de maître ». Sur Pain au chocolat, ils reviennent sur la polémique provoqué par Jean-François Copé, la tournant à la dérision dès l’introduction où un jeune enfant demande un pain au chocolats  et se voit proposé par la boulangère un feuilleté saucisse, « bien moins dangereux ». Le dernier opus …IAM, clôture 24 ans de carrière et de combats pour faire reconnaître le rap comme une culture importante, les rappeurs comme des donneurs d’alerte à écouter avec plus d’attention. Il fournit une réponse définitive à tous les détracteurs de cette culture hip-hop. Comprend qui pourra :

«La vie c’est violent
Le monde c’est violent
L’argent c’est violent
Les news c’est violent
L’école c’est violent
L’amour c’est violent
La rue c’est violent
Donc le rap c’est violent
C.Q.F.D 
»

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